Le chemin des fous, Marseille, 2022

Projet photographique réalisé avec l'association RIFT


" Née de la collaboration entre Moussa Fofana, co-fondateur du Refuge Migrants LGBTQI+, et de deux artistes basés à Marseille, Arthur Eskenazi et Liam Warren, l’exposition LE CHEMIN DES FOUS retrace une histoire de rencontres, d’émancipation et d’altérité qui donnera lieu à une série de performances le 25 juin. Depuis 2020, à la demande des membres du Refuge Migrants LGBTQI+, Arthur Eskenazi et Liam Warren, issus de l’art contemporain et des arts vivants, ont participé à l’élaboration collective d’un espace de recherche, de création, d’apprentissage et de partage, basé sur les expériences de vie de chacun·e, leurs désirs, leurs colères, leurs forces et leurs vulnérabilités.

 

Cet espace, instauré sur un temps hebdomadaire à Coco Velten à Marseille, a permis de réunir un groupe toujours en mouvement et l’organisation d’ateliers artistiques, réalisés tour à tour par les artistes, des invité·es, des membres du groupe, et axés sur les questions de l’identité et de la représentation de soi mais aussi de luttes intersectionnelles.

 

L’exposition, dont le titre renvoie aux méandres des parcours migratoires, se compose des travaux du groupe, de photos, pancartes et recherches iconographiques et d’une installation vidéo. Centrale dans le lieu, elle se construit sur six écrans dispersés dans la salle, où sont projetées des images qui documentent la vie de l’association et incarnent une archive en actes.

 

L’installation réalisée in situ se vit comme une immersion dans le quotidien des membres du Refuge Migrants LGBTQI+ : on y découvre des moments filmés durant les ateliers, de la danse, de la performance drag, des interludes urbains, des discussions ainsi que des témoignages. En écho aux pratiques de désidentification 1 qui ont cours chez les membres de l’association, des extraits de clip TikTok partagés par ces dernier·ères sont aussi diffusés et dévoilent des modes d’expression marginales proches des stratégies de survie et d’émancipation proposées par ces personnes précaires, qui choisissent comment se montrer et se raconter, au-delà une représentation dominante et stigmatisante.

 

La multiplicité des points de vue réunis dans la vidéo et son installation même, qui opère une diffraction dans l’espace, refuse la narration linéaire et tisse une constellation de témoignages, d’individus, de regards, de gestes, qui donne à voir la vie de ces personnes doublement soumises à des formes de discrimination et de minorisation, le fait d’être étranger·ère demandeur·euse d’asile dont les identités sexuelles et de genre sont considérées comme marginales.

 

Cette co-création, du travail chorégraphique à la performance et à l’image mobile, se pensedès lors comme un espace qui hybride création et acte social fondé sur une hospitalité réciproque, consciente des privilèges des uns et des formes d’oppression subies par les autres, de la situation administrative régulière d’Arthur Eskenazi et de Liam Warren et du statut de demandeur·euse d’asile ou de réfugié·e des membres du groupe. Travailler ensemble, faire communauté devient politique dans la mesure où les différent·es participant·es, malgré une évidente inégalité sociale, tentent d’édifier ensemble un safe space. Néanmoins, la force de ce groupe repose sur un refus des performeur·euses et des artistes du Refuge Migrants LGBTQI+ d’une assignation identitaire à la catégorie de migrant·es précaires et la revendication d’une pratique fugitive, par la construction d’une identité hybride tout en fluidité.

 

Une telle démarche implique de questionner continuellement le cadre éthique du dispositif dont Arthur Eskenazi et Liam Warren sont les alliés. Ils accompagnent l’organisation des ateliers et œuvrent pour la visibilité du Refuge Migrants LGBTQI+ et la recherche collective de solutions pour lier expression artistique et utilité concrète : par exemple, créer des œuvres qui peuvent être vendues pour aider l’association ou soutenir la reconnaissance du droit d’auteur pour les personnes exilées. Il ne s’agit pas de reproduire une nouvelle forme de tokénisme qui ne serait qu’inclusivité superficielle ou d’occuper une posture faussement héroïque de white savior mais d’interroger les conditions d’existence d’une telle co-création, de se positionner et de se situer en tant qu’artistes professionnels invités par Moussa Fofana. Somme toute d’éviter un déséquilibre entre les différents membres du groupe. L’exposition témoigne alors d’un processus de réflexion toujours en cours pour déconstruire des formes internalisées de subordination, introduites par les conditions d’accueil en France et la déshumanisation induite par les procédures d’un système bureaucratique et la possible violence du périple depuis le pays d’origine."

 

 

Texte de Anysia Troin-Guis

Traduit par Anna Cummings



Le chemin des fous, Léo Derivot




Partenaires:

 

Association RIFT

 

Association Le Refuge

 

Coco Velten


Site RIFT House:

 

https://rift.house/CHEMIN-DES-FOUS-FR

 

Photographies tous droits réservés, Léo Derivot